Premiers résultats du télescope spatial Euclid
le 19 mars 2025
En orbite depuis moins de deux ans, le télescope spatial européen Euclid a déjà cartographié environ 26 millions de galaxie et vient tout juste de livrer sa première moisson d’images et de gros résultats : pas moins de 34 publications scientifiques viennent d'être mises en ligne en version pré-prints. Louis Quilley, post-doctorant au CRAL, est premier auteur sur l'un de ces articles.
Une mission ambitieuse pour percer les mystères du cosmos
Lancée en juillet 2023 par l'Agence spatiale européenne (ESA) et pilotée par un consortium qui regroupe plus de 2000 scientifiques européens, cette mission révolutionnaire vise à percer l'un des plus grands mystères de la cosmologie moderne : la nature de l'énergie noire et de la matière noire, qui ensemble constituent 95 % de notre Univers mais demeurent largement incomprises.
Depuis le début des observations scientifiques en février 2024, Euclid cartographie méthodiquement le cosmos en observant des milliards de galaxies jusqu'à 10 milliards d'années-lumière de distance. En mesurant avec une précision inégalée la forme et la distribution de ces galaxies dans la toile cosmique, les scientifiques pourront comprendre comment l'énergie noire a influencé l'accélération de l'expansion de l'Univers. Cette même précision permettra également de déterminer comment la matière noire a façonné la formation des grandes structures cosmiques.
Cette première livraison de données Q1, représentatives de celles utiles aux analyses cosmologiques, constitue une étape majeure pour vérifier le potentiel scientifique de la mission. Euclid conduit un vaste relevé en très haute définition du tiers de la voûte céleste, qui s'étendra sur 6 ans. Équipé d'un large champ de vue et utilisant de longs temps de pose (70 minutes), il capte la lumière des objets les plus ténus du cosmos. Au total, 40 000 images seront réalisées, constituant une vue très détaillée de l'Univers riche de milliards de galaxies.
C'est sur cette base d'images d’une richesse unique que les équipes scientifiques du consortium Euclid s'appuient pour résoudre les mystères qu'ils cherchent à élucider. Pour cela, ils utilisent deux approches complémentaires. D'une part, ils mesurent l'effet de lentille gravitationnelle, c'est-à-dire la façon dont la lumière des galaxies lointaines est déformée par la matière (visible et sombre) qu'elle traverse avant de nous parvenir. D'autre part, ils cartographient précisément la distribution tridimensionnelle des galaxies, révélant comment elles s'organisent en filaments et en vides à l'échelle cosmique - une structure directement influencée par l'expansion de l'Univers que l'énergie noire accélère.
Pour ce faire, la mission combine deux instruments sophistiqués : un imageur visible (VIS) d'une précision exceptionnelle et un spectromètre et photomètre infrarouge (NISP) qui permet de mesurer la distance des objets observés. Cette combinaison unique permet non seulement d'étudier avec une précision sans précédent les mystérieuses composantes que sont la matière noire et l'énergie noire, mais aussi toute une myriade d'autres phénomènes astrophysiques.
En jaune, la localisation des premières observations d'Euclid superposées à des images des satellites Gaïa et Planck.
(Crédits : ESA / Euclid Consortium / NASA ; ESA / Gaïa / DPAC ; ESA / Planck Collaboration)
Des images d'une précision exceptionnelle
Les données publiées aujourd'hui incluent des observations couvrant 63 degrés carrés du ciel (l'équivalent de plus de 300 fois la surface de la pleine lune), révélant 26 millions de galaxies dont certaines situées à 10,5 milliards d'années-lumière. La qualité exceptionnelle des images repose en grande partie sur l'instrument VIS qui offre une résolution sans précédent pour un télescope de grand champ avec 0,16 seconde d'arc.
« Euclid possède une double capacité unique : d'une part une imagerie grand champ que n'ont pas des télescopes comme Hubble ou James Webb, et d'autre part une très grande qualité d’image » explique Pierre-Alain Duc, directeur de l'Observatoire astronomique de Strasbourg. « Ce grand champ permet d'accéder à de très grandes statistiques, mais ce n'est pas juste un catalogue. L'imagerie a une telle résolution qu'elle peut également donner lieu à de la science sur des objets individuels, comme le font Webb et Hubble. »
Ce premier aperçu ne représente que 0,45% du relevé total, qui couvrira à terme environ 14 000 degrés carrés, soit un tiers de la voûte céleste.
Des données déjà significatives
La première année de collecte de données tient ses promesses et le recensement des galaxies ou encore des lentilles gravitationnelles fortes bât son plein. Les premières se comptent déjà par centaines de milliers tandis que les secondes sont identifiées par centaines.
« L'effet de lentille gravitationnelle, véritable loupe cosmique qui déforme et multiplie l’image des galaxies lointaines, nous révèle comment la matière noire tisse sa toile. Mais ces phénomènes sont extrêmement rares, nous n'en connaissons que quelques centaines. Avec Euclid, nous nous attendons à en trouver des dizaines de milliers ! » précise Stéphanie Escoffier, chercheuse CNRS au Centre de physique des particules de Marseille.
D'ici la fin de la mission, Euclid devrait identifier environ 100 fois plus de lentilles fortes galaxies-galaxies que ce qui est connu actuellement. L’observation des amas de galaxies est également au centre de l’attention des scientifiques.
« Les amas de galaxies sont les structures les plus massives de l'Univers et se situent aux nœuds du vaste réseau filamentaire à grande échelle » explique Céline Gouin, chercheuse CNRS à l'Institut d'astrophysique de Paris. « Avec la richesse des données Euclid nous pouvons commencer à cartographier ces filaments cosmiques et cela va nous permettre d’explorer comment l'environnement à grande échelle influence la formation et l'évolution des amas. »
Une mission au fonctionnement optimal
Les premières observations confirment le parfait fonctionnement des instruments développés avec la contribution majeure des laboratoires français. « Avec cette remise des données Q1, on dispose déjà d'une couverture du ciel de près de 60 degrés carrés à une résolution proche de celle du télescope spatial Hubble, ce qui déjà change la donne » souligne Pierre-Alain Duc. « Nous pouvons déjà effectuer des analyses statistiques sans précédent sur la morphologie des galaxies et leurs sous-structures comme les barres ou les amas globulaires. ... alors que nous ne disposons que de 5 millièmes de ce que Euclid observera »
« Q1 est déjà un coffre au trésor fantastique pour de nombreuses recherches scientifiques » s'enthousiasme Hervé Aussel, chercheur au laboratoire Astrophysique Instrumentation et Modélisation. « Cela nous donne un aperçu du tsunami de résultats qui nous attend lorsqu'on livrera l’intégralité de la première année de données au public, fin 2026 ! (DR1) »
Quelques images de galaxies capturées par Euclid.
(Crédits : ESA / Euclid Consortium / NASA / M. Walmsley / M. Huertas-Company / J.-C. Cuillandre)
Une contribution majeure des laboratoires français
Les laboratoires français ont contribué de façon majeure à la conception et à la réalisation des deux instruments principaux du télescope : ils ont assuré la maîtrise d'œuvre du spectromètre infrarouge (NISP), la plus grande caméra infrarouge déployée dans l'espace, co-développé le système d'étalonnage de l'imageur visible (VIS), et co-conçu plusieurs de ses composants critiques comme les plans focaux et les systèmes électroniques de contrôle.
Au-delà du matériel embarqué, la France est également au cœur du traitement du flot massif de données généré par Euclid. L'hexagone héberge l'un des plus puissants calculateurs du réseau, qui centralise et transforme les observations brutes attribuées à la France en données scientifiquement exploitables. Ce centre a joué un rôle crucial dans la production des données Q1. Parallèlement, d'autres équipes françaises développent des algorithmes spécialisés pour détecter les structures cosmiques et analyser les objets célestes proches, pouvant opérer sur n'importe lequel des 9 centres de données répartis en Europe et aux États-Unis.
Cette infrastructure est complétée par le Télescope Canada-France-Hawaii (CFHT), qui fournit des observations complémentaires indispensables pour exploiter pleinement le potentiel scientifique des données d'Euclid, renforçant encore l'empreinte française dans ce projet international ambitieux.
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Références bibliographiques
La liste de tous les articles scientifiques en pré-prints est disponible ici.L'article co-signé par Louis Quilley du CRAL est disponible ici : Exploring galaxy morphology across cosmic time through Sersic fits