ALMA observe une joute cosmique à 11 milliards d'années-lumière de nous
le 21 mai 2025
Une équipe d'astronomes — dont fait partie Jens-Kristian Krogager du CRAL — a observé pour la première fois une violente collision cosmique au cours de laquelle une galaxie en transperce une autre par un intense rayonnement. Leurs résultats, publiés dans la revue Nature, montrent que ce rayonnement atténue la capacité de la galaxie blessée à former de nouvelles étoiles.
Image d'ALMA de la joute cosmique - Image d'ALMA de la "joute cosmique" - ALMA/S. Balashev and P. Noterdaeme et al.
Cette image, prise avec l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA), montre le contenu en gaz moléculaire de deux galaxies impliquées dans une collision cosmique. Celle de droite abrite un quasar, un trou noir supermassif qui accrète la matière de son environnement et émet un rayonnement intense directement dans l'autre galaxie. Les astronomes ont utilisé l'instrument X-shooter du Very Large Telescope (VLT) de l'ESO pour détecter la lumière du quasar lorsqu'elle traverse un halo invisible de gaz entourant la galaxie de gauche. Ils ont ainsi pu observer les dommages causés à la victime par ce rayonnement, perturbant ses nuages de gaz et entravant sa capacité à former de nouvelles étoiles. (Crédits : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO) / S. Balashev and P. Noterdaeme et al.)
Dans les profondeurs lointaines de l’Univers, deux galaxies sont engagées dans une guerre spectaculaire. À maintes reprises, elles se précipitent l’une vers l’autre à une vitesse de 500 km/s sur une trajectoire de collision violente, ne faisant qu’effleurer leur cible avant de se replier pour un nouveau round. « Nous appelons donc ce système lajoute cosmique », explique Pasquier Noterdaeme, co-auteur de l’étude et chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris et au Laboratoire franco-chilien pour l'astronomie, en faisant référence au sport médiéval. Mais ces chevaliers galactiques n’ont rien de chevaleresque, et l’un d’eux dispose d’un avantage particulièrement injuste : il utilise un quasar pour transpercer son adversaire d’une lance de radiation.
Les quasars sont les noyaux brillants de certaines galaxies lointaines qui sont alimentés par des trous noirs supermassifs, libérant d'énormes quantités de rayonnement. Les quasars et les fusions de galaxies étaient autrefois beaucoup plus courants, apparaissant plus fréquemment au cours des premiers milliards d'années de l'Univers, de sorte que pour les observer, les astronomes se tournent vers le passé lointain à l'aide de puissants télescopes. La lumière de cette « joute cosmique » a mis plus de 11 milliards d'années à nous parvenir, de sorte que nous la voyons telle qu'elle était lorsque l'Univers n'avait que 18 % de son âge actuel.
Vue d'artiste d'une « joute cosmique » - Vue d'artiste d'une « joute cosmique » - ESO/M. Kornmesser
Vue d'artiste d'une « joute cosmique » (Crédit : ESO / M. Kornmesser)
« C’est la première fois que nous observons directement l’effet de la radiation d’un quasar sur la structure interne du gaz d’une galaxie par ailleurs normale », explique Sergei Balashev, co-auteur de l’étude et chercheur à l’Institut Ioffe de Saint-Pétersbourg. Les nouvelles observations indiquent que la radiation émise par le quasar perturbe les nuages de gaz et de poussière de la galaxie « régulière », ne laissant derrière elle que les régions les plus petites et les plus denses. Ces zones seraient probablement trop réduites pour permettre la formation d’étoiles, privant ainsi la galaxie blessée de ses pouponnières stellaires, dans une transformation aussi spectaculaire que radicale.
Mais cette victime galactique n'est pas la seule à être transformée. Sergei Balashev explique : « On pense que ces fusions apportent d'énormes quantités de gaz aux trous noirs supermassifs situés au centre des galaxies ». Dans cette joute cosmique, de nouvelles réserves de carburant sont mises à la portée du trou noir qui alimente le quasar. Lorsque le trou noir se nourrit, le quasar peut poursuivre son attaque dévastatrice.
Cette étude a été réalisée à l'aide d'ALMA et de l'instrument X-shooter du VLT de l'ESO, tous deux situés dans le désert d'Atacama au Chili. La haute résolution d'ALMA a permis aux astronomes de distinguer clairement les deux galaxies en fusion, qui sont si proches l'une de l'autre qu'elles semblaient ne former qu'un seul objet dans les observations précédentes. Avec X-shooter, les chercheurs ont analysé la lumière du quasar lorsqu'elle traverse la galaxie régulière. Cela a permis à l'équipe d'étudier comment cette galaxie a souffert du rayonnement du quasar dans ce combat cosmique.
Des observations avec des télescopes plus grands et plus puissants pourraient permettre d'en savoir plus sur ce type de collisions. Comme le dit Pasquier Noterdaeme, un télescope comme l'Extremely Large Telescope de l'ESO « nous permettra certainement d'approfondir l'étude de ce système, et d'autres, afin de mieux comprendre l'évolution des quasars et leur effet sur les galaxies hôtes et les galaxies voisines ».