Décryptage : Séismes en Turquie et en Syrie
le 24 mai 2023
L'INSU a publié sur son site Internet une page de décryptage pour mieux comprendre ce qu'il s'est passé le 6 février 2023, quand deux séismes dévastateurs ont frappé la Turquie et la Syrie. Avec plus de 50 000 victimes et des milliers de bâtiments détruits, ces tremblements de terre comptent parmi les plus meurtriers du XXIe siècle. Le risque, bien connu des scientifiques, était pourtant sous-estimé. Que savons-nous de la région ? Que s’est-il passé sous terre ? Comment expliquer l’ampleur des dégâts ? À quoi peut-on s’attendre à l’avenir ? Un article auquel a participé Blandine Gardonio du LGL-TPE.
Dans la nuit du 5 au 6 février 2023, un séisme de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter a frappé la Turquie et la Syrie à 4 h 17 (heure locale). Ce dernier, dont l’épicentre est situé près de Gaziantep au sud-est de la Turquie, a été suivi d’un second d’une magnitude 7,5 à 13 h 24 locale dont l’épicentre se trouvait à proximité d’Ekinözü. Des centaines de répliques ont également été ressenties dans les jours qui suivirent, dont certaines jusqu’au Liban et Chypre. Le bilan matériel et humain fait de cette catastrophe sismique l’une des plus meurtrières du XXIe siècle, avec environ 44 400 victimes en Turquie et au moins 5 950 en Syrie. Tandis qu’au moins 173 000 bâtiments ont été gravement endommagés ou totalement détruits.
La Turquie, une zone bien connu de risque sismique
La Turquie, correspondant en majeur partie à la plaque anatolienne, est située entre trois plaques tectoniques : la plaque eurasienne, la plaque africaine, et la plaque arabique. Elle est délimitée à l’est par la faille principale Est-anatolienne (EAF) et au nord par la faille principale Nord-anatolienne (NAF) qui a rompu sur plus de 900 km par une série de séismes en cascade d’est en ouest entre 1939 et 1999.Carte de la plaque anatolienne, l’étoile bleue représente l’épicentre du séisme principal du 6 février 2023.
(Crédit image : Armijo et al., 1999)
Historique des séismes (rupture de la faille) depuis 1894. (Crédit image : Pondard et al., 2007)
Cartes d’aléa et de risque sismiques en Europe et en Eurasie
(Crédit image : Danciu et al., 2021 et Crowley et al., 2021)
Retour sur les séismes du 6 février 2023
Localisation des deux séismes du 6 février 2023. Les cercles rouges représentent les deux épicentres. Les cercles pleins noirs plus petits sont les répliques, à deux dates différentes (avant M 7.5 à gauche, après second à droite). (Crédit image : EMSC-CSEM)
Vue 3D de la faille en profondeur et des tronçons qui ont rompu.
Un autre élément, moins important pour les conséquences du séisme, mais intéressant scientifiquement, est que la rupture ne s’est pas initiée sur la faille principale (EAF) mais sur une faille secondaire. La rupture de celle-ci s’est ensuite transmise et propagée à la faille principale (EAF), la rompant sur un total de 300 km, en partie vers le sud-ouest (à gauche figure ci-dessus) et en partie vers le nord-est (à droite figure ci-dessus). L’ensemble de rupture sur les différents tronçons de faille s’est produite entre la surface et 20 km de profondeur, et le mouvement de bloc le long de la faille a pu atteindre localement 8 à 9 mètres. La longueur de rupture, l’ampleur du mouvement sur la faille, et la profondeur plutôt superficielle de la rupture expliquent en grande partie les intensités ressenties et l’ampleur des dégâts associés. Cependant, des questions se posent toujours : pourquoi la rupture ne s’est-elle pas arrêtée en bout de faille secondaire comme on aurait pu l’imaginer ? Pourquoi s’est-elle transmise à la faille principale ? Comment expliquer qu’un second choc de magnitude 7,5 se soit produit seulement 9 heures après ?
La partie de la croûte terrestre qui a rompu est déjà connue pour accumuler de fortes contraintes depuis plusieurs centaines d’années, du fait des mouvements continuels de la tectonique des plaques à grande échelle. En d’autres termes, les plaques tectoniques se déplacent de manière plutôt stable dans la croûte terrestre et se déforment élastiquement. Leurs mouvements, créés par les forces de contraintes et de déformation, s’accumulent au cours du temps jusqu’à un point de rupture (ou seuil de contrainte) à partir duquel la faille se fracture puis les ondes sismiques se propagent. Lors d’un séisme, les contraintes accumulées se relâchent puis déforment et « cassent » la faille. Ensuite, un nouveau cycle de chargement recommence qui mènera à l’occurrence d’un nouveau séisme dans le futur.
Représentation schématique de la rupture d'une faille.
Des dégâts d’une ampleur inattendue
Cette catastrophe est aussi révélatrice des difficultés à prendre en compte les alertes et les recommandations des experts nationaux et internationaux, ainsi qu’à maîtriser l’urbanisme dans un contexte de densification rapide ou dans une situation de guerre pour la Syrie. En raison de l’ampleur des dégâts, la mobilisation des équipes internationales, des habitants en plus des autorités locales a été nécessaire pour gérer l’urgence. Les conditions de logement temporaire, les déplacements de certaines populations et la gestion des déchets soulignent les efforts importants qui sont encore nécessaires pour que la population reprenne une vie plus normalisée.